Association Bordelaise des Utilisateurs de Logiciels libres
Argumentaire, sous forme de questions-réponses, contre les brevets logiciels.
Introduction
Cet argumentaire a pour but, sous forme de questions-réponses,
d’apporter des éléments d’information sur la question des
brevets
logiciels.
Il répond de fait aux arguments avancés sur le site http://www.brevets-logiciels.com/
mis en place par M. Pierre
BREESE, du cabinet de propriété intellectuelle
Breese & ;
Majerowicz1.
Nous encourageons donc les personnes intéressées à
consulter ce site en
même temps que le nôtre, afin de comparer les
réponses apportés par
chacun aux différentes questions économiques,
stratégiques, et éthiques
posées par la mise en oeuvre des brevets logiciels. Nous avons
essayé,
pour notre part, de fournir des réponses argumentées et
documentées,
basées sur des éléments factuels
vérifiables et des études scientifiques
indépendantes. Nous espérons que cette
méthodologie sera également
appliquée par nos contradicteurs.
Brevets logiciels
Les brevets logiciels bénéficient aux PME
FAUX. Les brevets logiciels, de par la
judiciarisation qu’ils
introduisent, favorisent les entreprises dotées de services
spécialisés ou faisant appels à des cabinets
externes coûteux (et
inabordables pour les PME), à savoir les grandes entreprises des
secteurs de l’électronique, de l’informatique, et de la
communication.
Une
étude
anglaise extensive, conduite entre 1996 et 1999 sur l’usage
des
brevets auprès des PME (d’ailleurs pas seulement dans le domaine
du
logiciel), est encore plus tranchée :
« The patent
system gives SMEs no help in innovating, Macdonald concludes
from
surveys and interviews involving over 2,600 firms. It neither
fosters nor protects their innovation. The patent system is at best an
irrelevancy for most small firms ».
Traduction :
« Le système des brevets n’apporte aucune
aide à
l’innovation aux PME. [...] Il n’incite ni ne
protège leur
capacité d’innovation. Le système des brevets est au
mieux une
inutilité pour la plupart des petites
entreprises ».
Les seules PME auxquelles les brevets logicielles peuvent apporter un
bénéfice temporaire sont celles désirant se faire
racheter par des
entreprises plus grandes. Dans ce cas, le portefeuille de brevets,
évalué par les incontournables conseillers en
propriété
intellectuelle, est un argument de poids pour fixer le prix de vente
de l’entreprise.
En fait, les brevets logiciels sont une arme de plus que peuvent
utiliser les grandes entreprises pour s’approprier les innovations
produites par les PME. En effet, sans brevets logiciels, une PME qui
ne souhaite pas se faire absorber par une grande entreprise peut
toujours continuer à exister. En revanche, avec les brevets
logiciels,
la grande entreprise disposant de services juridiques
étoffés peut
attaquer la PME pour contrefaçon des brevets
logiciels triviaux qu’elle possède. Même si la
PME est dans son
droit, les coûts de litige, estimés à environ
500000$ aux États-Unis,
suffisent à la mettre à genoux et à limiter ses
capacités d’innovation
pour longtemps.
Les services juridiques des grandes entreprises sont d’ailleurs
parfaitement conscientes de l’intérêt qu’elles peuvent
retirer
des brevets logiciels. Pour preuve, voici un extrait d’un article
paru dans le magazine Think, numéro 5,
en 1990 :
"You get value from patents in two ways," says Roger
Smith, IBM
Assistant General Counsel, intellectual property law. "Through
fees, and through licensing negotiations that give IBM access to
other patents". "The IBM patent portfolio gains us the freedom
to do what we need to do through cross-licensing---it gives us
access to the inventions of others that are the key to rapid
innovation. Access is far more valuable to IBM than the fees it
receives from its 9,000 active patents. There’s no direct
calculation of this value, but it’s many times larger than the
fee income, perhaps an order of magnitude larger".
Pour mémoire, les revenus des licences de brevets rapportaient
à
IBM plus d’un milliard de Dollars en 1990.
L’utilisation des brevets logiciels pour percevoir des
rétributions
indues (le terme de racket n’est pas trop fort) est déjà
répandue
aux États-Unis, où les brevets logiciels ont
même été utilisés
comme arme de terrorisme
juridique contre les détracteurs du système.
L’argument que les brevets aident les PME à trouver des
investisseurs
est lui aussi dénué de fondement, et tombera de
lui-même dès que les
investisseurs auront réalisé que, malgré leurs
brevets, et à cause de
ceux des autres, toute PME est à la merci d’attaques juridiques
imprévisibles, mettant ainsi en danger la
pérennité de leurs
investissements.
Les brevets logiciels favorisent la Recherche & ; Développement
FAUX.
Un premier point à noter est qu’aucune étude
économique ne montre
que les brevets logiciels ont un effet bénéfique ;
sinon, il
y a longtemps que les pro-brevets l’auraient crié sur tous les
toits.
Les études économiques chiffrées dont on dispose
actuellement, comme
par exemple celle de Bessen et
Maskin (chercheurs au département d’économie du
Massachusetts
Institute of Technology), montrent clairement qu’aux États-Unis,
où
ils sont mis en oeuvre depuis le milieu des années 1980, les
brevets
logiciels n’ont pas conduit à une augmentation du taux
d’investissement en R& ;D par rapport aux ventes, alors que c’est
ce
qui était prédit par les modèles statiques des
pro-brevets. En fait,
en accord avec modèle dynamique de Bessen et Maskin, les
données
statistiques disponibles montrent même que ce taux a
baissé
depuis la généralisation des brevets logiciels.
En tout état de cause, puisque le système des brevets est
un surcoût
pour les entreprises, en dissipant dans le système juridique des
ressources qui auraient pû être utilisées pour la
R& ;D et le
marketing, c’est aux pro-brevets de faire la preuve que les brevets
logiciels sont globalement bénéfiques à la
société, et non le contraire.
Les entreprises informatiques ont été innovantes bien
avant l’avènement
du brevet logiciel, et peuvent très bien le rester.
L’industrie du logiciel possède nombre de
spécificités qui la rendent
différente des industries traditionnelles, et qui font que le
système
des brevets ne peut s’appliquer au logiciel :
- les innovations sont séquentielles, chacune d’elles
s’appuyant sur
la précédente. Breveter l’une d’elles revient à
s’approprier un pan
entier de l’industrie ; - le coût de production en série est
marginal, rendant inutile
l’amortissement de lourds investissements matériels ; - le temps d’existence commerciale d’un logiciel est
très faible,
sans commune mesure avec le temps nécessaire pour déposer
un brevet
(2 ans), ou encore son temps de validité (20 ans, inadmissible
en
informatique) ; - le marché est volatil, permettant à
l’auteur d’un logiciel innovant
d’être remboursé de ses investissements avant qu’un
concurrent ne
puisse l’imiter et distribuer un logiciel concurrent. Les brevets
sont une perte de temps, d’énergie, et d’argent.
Il est d’ailleurs intéressant de s’interroger sur les raisons
qui ont
conduit à l’émergence des brevets sur les composants et
les logiciels
aux États-Unis, et l’insistance de ces derniers à vouloir
à toute
force, à travers l’Organisation Mondiale du Commerce, imposer
ces
mêmes brevets logiciels au reste de la planète. Comme le
montre bien
un livre sur l’histoire du
brevet aux États-Unis, ces motivations sont purement
protectionnistes,
et liées à l’émergence des pays du sud-est
asiatique comme producteurs
de semi-conducteurs capables de concurrencer firmes américaines.
Les brevets logiciels sont une des armes dont les États-Unis se
servent dans le contexte actuel pour acquérir et conserver le
contrôle
de la ressource
stratégique que
constitue l’information dans les sociétés actuelles.
Les opposants aux brevets logiciels sont des universitaires trotskistes qui ne comprennent rien à l’economie
FAUX. On aurait aimé répondre VRAI
juste pour faire hurler ceux
d’en face, mais le sujet est trop important...
Les opposants aux brevets logiciels sont avant tout des professionnels
de l’informatique qui comprennent mal que des personnes qui ne sont pas
de la discipline décident pour eux, de façon apparemment
arbitraire, de
ce qu’ils n’ont plus le droit de faire.
La communauté du logiciel libre est la première à
avoir réagi, et la
plus présente médiatiquement, parce que c’est une
communauté soudée
qui a l’habitude de la communication rapide par Internet. La
présence
d’universitaires parmi elle est naturelle, car le choix d’une
carrière universitaire mal payée ne peut se faire que si
l’on possède
des idéaux de progrès par la transmission et
d’universalité de la
connaissance, justement mis à mal par le système des
brevets sur les
logiciels et les méthodes d’affaire2.
Cependant, on trouve également parmi les opposants au brevet
logiciel
nombre de PME
innovantes, conscientes du danger. Le problème
principal, en ce
qui les concerne, est qu’elles ne sont absolument pas informées
de la
question, car trop occupées à produire pour prendre le
temps de regarder
du côté de Bruxelles ce que quelques personnes vont
décider pour elles.
Ainsi, il faut noter que la consultation Internet, lancée par la
Direction
Générale du Marché Intérieur, n’a
absolument pas été médiatisée auprès
des PME, ce qui fait que la DGMI argue une fois de plus que les seuls
opposants au brevet logiciel sont les partisans du logiciel libre. Le
faible taux de réponses sur un sujet aussi sensible suffit
à lui seul
à montrer l’inanité de cette argumentation.
À titre de conclusion sur ce point, il est intéressant de
noter que ce
type d’argumentation par dénigrement implicite de ses opposants,
pervers par essence, n’est opérant que si l’on n’y prend garde
et que
l’on cherche à prouver objectivement sa bonne foi, alors
même que la
question est biaisée. Ainsi, on pourrait également dire
que les
pro-brevets ne sont qu’une coterie de gens dont le seul mérite
est de
bien se connaître et d’être à des postes
décisionnaires dont ils se
servent pour privilégier leurs intérêts
immédiats. Mais là encore, le
lecteur attentif aura bien compris qu’il n’en est rien.
1 Un
nslookup effectué sur les deux noms de
sites,
donne la même adresse IP de machine :
195.154.160.99.
2 Rappelons juste
que la fonction des universitaires dans une société est
de favoriser
sa survie à long terme, par le progrès qu’ils induisent.
Si le
principe de leur existence était économiquement trop
coûteux, il y a
longtemps qu’ils auraient disparu. Et puisque la fonction d’un
universitaire est de réfléchir à long terme, il
semble malvenu de les
critiquer sur ce point, sauf à vouloir préserver des
intérêts qui ne
sont pas ceux de la société, et donc purement
catégoriels.