Association Bordelaise des Utilisateurs de Logiciels libres
Analyse des articles de la directive votée par le Conseil de l’Union Européenne
Ce document analyse, article par article, la version de la directive
sur les « inventions mises en oeuvre par
ordinateur » proposée par les membres des offices de
brevets siégeant au Coreper et votée au Conseil du 18 mai
2004 [01], et montre en quoi cette
directive diffère substantiellement de celle amendée et votée en
première lecture par le Parlement Européen le 24 septembre
2003 [02].
Analyse des articles
On ne fera ici l’analyse que des articles proprements dits, les
considérants ayant une importance moindre. Il y sera cependant
fait référence en cas d’incohérences manifestes avec le contenu
des articles.
Afin de faciliter la compréhension des différences entre les deux
versions, les points cruciaux ont été mis en gras.
Article 1
Version du Conseil
La présente directive établit des règles concernant la brevetabilité
des inventions mises en oeuvre par ordinateur.
Analyse de la version du Conseil
Le terme « inventions mises en oeuvre par
ordinateur » est inapproprié et trompeur. Dans
l’esprit de la majorité des lecteurs, il fait référence au fait qu’une
invention matérielle puisse être pilotée par un ordinateur. Cependant,
dans ce cas, la présence de l’ordinateur n’apporte rien de
significatif à l’invention, et l’invention elle-même peut tout à fait
être revendiquée en vertu des textes existants, en tant que produit ou
procédé. C’est d’ailleurs le sens même de l’article 52.2 de la
Convention Européenne du Brevet qui dit que, dans le cas d’une
invention faisant intervenir à la fois du matériel et du logiciel, tel
qu’un système de freinage ABS ou une machine à laver mettant en oeuvre
un nouveau procédé de lavage, l’invention dans son ensemble peut être
revendiquée, mais que les logiciel qu’elle utilise, en tant que tels,
ne peuvent faire l’objet de revendications car le logiciel n’est pas
brevetable, mais soumis au régime du droit d’auteur.
Le sens caché de ce terme, avancé par les représentants des offices de
brevets, est donc qu’une invention puisse être intégralement
« mise en oeuvre » au moyen d’un ordinateur, et
donc que cette « invention » soit en fait un
logiciel. Dans ce cadre, l’objet de la directive est bien d’instaurer
la brevetabilité logicielle.
Pour une analyse plus approfondie du lien entre matériel et logiciel,
et sur le fait que le logiciel ne peut pas être considéré comme
« technique » au sens des brevets,
voir [03] et [
href="#r04">04].
Version du Parlement
Idem.
Analyse de la version du Parlement
La version du Parlement est malheureusement identique à
celle du Conseil.
Si la volonté sous-jacente était réellement d’interdire la
brevetabilité logicielle, il faudrait plutôt reformuler cet
article en parlant d’inventions « contrôlées
par ordinateur », pour bien montrer que l’invention,
au sens des brevets, ne peut résider dans le logiciel. Un
amendement parlementaire en ce sens avait été déposé, mais n’a
pas été adopté. En fait, si le texte devait être ré-écrit de
façon cohérente, il faudrait à chaque fois remplacer le terme
« invention mise en oeuvre par ordinateur »
par le terme « invention contrôlée par
ordinateur ».
Article 2
Version du Conseil
a) "invention mise en oeuvre par ordinateur" désigne toute invention
dont l’exécution implique l’utilisation d’un ordinateur, d’un réseau
informatique ou d’un autre appareil programmable, l’invention
présentant une ou plusieurs caractéristiques qui sont réalisées
totalement ou en partie par un ou plusieurs programmes
d’ordinateur ;b) "contribution technique" désigne une contribution à l’état de l’art
dans un domaine technique, qui est nouvelle et non évidente pour une
personne du métier. La contribution technique est évaluée en prenant
en considération la différence entre l’état de l’art et l’objet de la
revendication de brevet considéré dans son ensemble qui doit
comprendre des caractéristiques techniques, qu’elles soient ou non
accompagnées de caractéristiques non techniques.
Analyse de la version du Conseil
Cet article constitue la première brèche permettant effectivement
la brevetabilité absolue des logiciels et méthodes commerciales.
L’Article 2.a stipule tout d’abord que la totalité des
caractéristiques d’une invention peuvent être réalisées par un
programme d’ordinateur, ce qui légitime la brevetabilité logicielle en
dehors de toute contribution matérielle innovante.
Ensuite, l’Article 2.b dispose que, lors de l’évaluation de la
contribution technique, on considère non pas uniquement les
caractéristiques techniques de l’invention, mais également ses
caractéristiques non techniques. Grâce à cela, un nouveau logiciel
s’exécutant sur un banal ordinateur peut réaliser une contribution
technique, car la nouveauté provient du logiciel (non technique) et la
technicité de l’usage d’un ordinateur (non nouveau), l’ensemble étant
à la fois nouveau et technique.
Version du Parlement
Aux fins de la présente directive, les définitions suivantes
s’appliquent :a) "invention mise en oeuvre par ordinateur" désigne toute invention
au sens de la Convention sur le brevet européen dont l’exécution
implique l’utilisation d’un ordinateur, d’un réseau informatique ou
d’un autre appareil programmable et présentant dans sa mise en
oeuvre une ou plusieurs caractéristiques non techniques qui sont
réalisées totalement ou en partie par un ou plusieurs programmes
d’ordinateurs, en plus des caractéristiques techniques que toute
invention doit apporter ;b) "contribution technique", également appelée "invention", désigne
une contribution à l’état de la technique dans un domaine
technique. Le caractère technique de la contribution est une des
quatre conditions de la brevetabilité. En outre, pour mériter un
brevet, la contribution technique doit être nouvelle, non évidente et
susceptible d’application industrielle. L’utilisation des forces de
la nature afin de contrôler des effets physiques au delà de la
représentation numérique des informations appartient à un domaine
technique. Le traitement, la manipulation et les présentations
d’informations n’appartiennent pas à un domaine technique, même si des
appareils techniques sont utilisés pour les effectuer ;c) "domaine technique" désigne un domaine industriel d’application
nécessitant l’utilisation de forces contrôlables de la nature pour
obtenir des résultats prévisibles. "Technique" signifie "appartenant à
un domaine technique" ;d) "industrie", au sens du droit des brevets, signifie "production
automatisée de biens matériels".
Analyse de la version du Parlement
L’Article 2 du Parlement Européen, pour sa part, définit précisément
les limites de la technicité, afin d’éviter que les logiciels,
méthodes commerciales, et autres processus intellectuels puissent être
rendus brevetables.
L’Article 2.a spécifie que les logiciels ne peuvent apparaître que
sous forme de contributions non techniques dans des revendications de
brevets et que, pour être recevable, un brevet doit posséder au moins
une caractéristique technique nouvelle. Ainsi, un nouveau système ABS
utilisant un ordinateur est brevetable, parce que ce système fournit
une contribution technique nouvelle située dans le domaine matériel.
Dans ce cas, le fait qu’un programme soit utilisé par ce système ABS
fait partie des revendications non techniques, et le programme, en
tant que tel, n’est donc pas couvert par le brevet, mais par le régime
du droit d’auteur.
L’Article 2.b précise que l’usage d’ordinateurs pour mettre en oeuvre
des processus de traitement de données ne peut rendre ces derniers
brevetables.
L’Article 2.c donne une définition précise de la technicité au sens
des brevets, déjà présente dans le Droit nordique, et basée sur le
fait qu’une invention au sens des brevets doit fournir une solution
nouvelle à un problème appartenant au monde physique. Ceci exclut de
fait les méthodes commerciales, éducatives, ou autres du champ de la
brevetabilité.
L’Article 2.d définit le domaine industriel dans lequel s’applique le
brevet, afin d’éviter l’apparition de brevets dans des industries
comme celles du cinéma ou du disque.
Article 3
Version du Conseil
Supprimé.
Analyse de la version du Conseil
Cet article, qui stipulait initialement, dans la version de la
Commission, que les « inventions mises en oeuvre par
ordinateur » appartenaient à un domaine technique par
nature et étaient donc intrinsèquement brevetables en dehors de toute
autre considération, a été supprimé tant par le Parlement Européen que
par le Conseil. Il était en effet tautologique, puisque dès qu’on fait
référence à la notion d’invention, on se trouve dans un domaine où la
brevetabilité s’applique.
Il est cependant à noter que le contenu de cet article constitue
toujours le début du Considérant 12, qui est donc inconsistent.
Version du Parlement
Les États membres veillent à ce que le traitement des données ne soit
pas considéré comme un domaine technique au sens du droit des brevets
et à ce que les innovations en matière de traitement des données ne
constituent pas des inventions au sens du droit des brevets.
Analyse de la version du Parlement
Le Parlement a voté un nouvel Article 3 spécifiant explicitement que
les processus de traitement des données ne fait pas partie du champ de
la brevetabilité. Cet Article fait quelque peu double emploi vis-à-vis
de l’Article 2.b du Parlement, du fait que de nombreux amendements
équivalents ont été présentés par des parlementaires différents. Ceci
se produit à d’autres endroit du texte parlementaire, mais n’est pas
gênant.
Article 4
Version du Conseil
Pour être brevetable, une invention mise en oeuvre par ordinateur doit
être susceptible d’application industrielle, être nouvelle et
impliquer une activité inventive. Pour impliquer une activité
inventive, une invention mise en oeuvre par ordinateur doit apporter
une contribution technique.
Analyse de la version du Conseil
Il n’y aurait rien à redire à cet article si la notion de contribution
technique était définie de façon à exclure les logiciels et les
méthodes commerciales. On a vu dans l’analyse de l’Article 2 que ce
n’était pas le cas.
Version du Parlement
1. Pour être brevetable, une invention mise en oeuvre par
ordinateur doit être susceptible d’application industrielle, être
nouvelle et impliquer une activité inventive. Pour impliquer une
activité inventive, une invention mise en oeuvre par ordinateur
doit apporter une contribution technique.
Analyse de la version du Parlement
La version du Parlement est identique à celle du Conseil. Seule
la numérotation change.
Article 4bis
Version du Conseil
1. (nouveau) Un programme d’ordinateur en tant que tel ne peut
constituer une invention brevetable.2. Une invention mise en oeuvre par ordinateur n’est pas considérée
comme apportant une contribution technique simplement parce qu’elle
implique l’utilisation d’un ordinateur, d’un réseau ou d’un autre
appareil programmable. En conséquence, ne sont pas brevetables les
inventions consistant en des programmes d’ordinateur, qu’ils soient
exprimés en code source, en code objet ou sous toute autre forme, qui
mettent en oeuvre des méthodes pour l’exercice d’activités économiques,
des méthodes mathématiques ou d’autres méthodes, si ces inventions ne
produisent pas d’effets techniques au-delà des interactions physiques
normales entre un programme et l’ordinateur, le réseau ou un autre
appareil programmable sur lequel celui-ci est exécuté.
Analyse de la version du Conseil
Cet article constitue la deuxième brèche permettant la brevetabilité
totale des logiciels ainsi que des méthodes commerciales.
L’Article 4bis.1 stipule que les logiciels « en tant que
tels » ne sont pas brevetables. Cependant, aucune
définition de ce qu’est un « logiciel en tant que
tel » n’est donnée, et l’Article 4bis.2 revient à dire que
de tels logiciels n’existent pas.
L’Article 4bis.2 constitue une magnifique tentative d’enfumage. Si on
le débarasse de ses doubles négations, il revient à dire qu’on peut
effectivement breveter des programmes mettant en oeuvre des
méthodes commerciales, des méthodes mathématiques, ou d’autres
méthodes, à condition que ces programmes produisent un effet
« technique » autre que celui de s’exécuter sur
l’ordinateur. Or, comme il est dit dans le texte de la directive de la
Commission [05, page 16], l’OEB
considère qu’un logiciel fournit un effet
« technique » dès lors qu’on considère des
motivations « techniques » avant de le
programmer ou qu’on utilise des moyens
« techniques » pour le mettre en oeuvre.
Ainsi, dès qu’un logiciel sert à quelque chose et peut s’exprimer sous
forme de jargon technicisant, il est considéré comme
« technique » et donc brevetable, les logiciels
« en tant que tels » étant donc par contraposée
les logiciels qui ne servent à rien et qu’il n’est pas économiquement
utile de breveter.
De bons exemples de brevets de méthodes commerciales effectivement
délivrés par l’OEB se trouvent ici [
href="#r06">06]. Le premier de ces brevets, qui porte sur la
notion de commerce en ligne, a été accepté sans problème par l’OEB,
du fait de son écriture en jargon technicisant [
href="#r07">07], et tous les cabinets en brevets savent bien
comment faire en sorte que des brevets sur des méthodes commerciales
puissent être acceptés par les offices de brevets [
href="#r08">08].
Ceci montre bien que, dès le moment où on accepte l’idée que
certains logiciels puissent être brevetables, alors il n’y a aucun
moyen d’empêcher le brevetage effectif des méthodes commerciales,
car toutes ces méthodes sont en fait des algorithmes qui peuvent
être décrits par les ressources qu’ils mobilisent et la façon dont ils
les utilisent. Il est impossible de faire une quelconque
distinction entre logiciels « techniques »
et « non techniques » [
href="#r04">04], et la seule façon d’interdire le brevetage
des méthodes commerciales consiste à interdire totalement la
brevetabilité logicielle.
Version du Parlement (suite de l’Article 4)
Article 4
[...]
2. Les États membres veillent à ce que le fait qu’une invention mise
en oeuvre par ordinateur qui apporte une contribution technique
constitue une condition nécessaire à l’existence d’une activité
inventive.3. Le caractère notable de la contribution technique est évalué en
prenant en considération la différence entre l’ensemble des
caractéristiques techniques de la revendication de brevet et
l’état de la technique, indépendamment du fait que ces
caractéristiques soient accompagnées ou non de caractéristiques non
techniques.4. Pour déterminer si une invention mise en oeuvre par
ordinateur apporte une contribution technique, il y a lieu d’établir
si elle apporte une connaissance nouvelle sur les relations de
causalité en ce qui concerne l’utilisation des forces controlables de
la nature et si elle a une application industrielle au sens strict de
l’expression, tant sous l’angle de la méthode que sous celui du
résultat.
Analyse de la version du Parlement
La version du Parlement réaffirme la nécessité d’une contribution
technique dans le domaine physique, ayant une application industrielle
manifeste, pour pouvoir breveter une invention contrôlée par ordinateur.
En particulier, à la différence de la version du Conseil, l’Article
4.3 stipule que l’évaluation de la nouveauté de l’invention ne doit
se faire que par rapport aux seules caractéristiques techniques de
l’invention, qui seules légitiment la délivrance d’un brevet.
Il est à remarquer que les termes de l’Article 4bis.2 du Conseil sont
repris dans l’Article 5 de la version du Parlement. Ceci doit être
considéré comme un vestige du texte de la Commission, qui n’a en fait
pas d’importance puisque le texte du Parlement définit de façon précise
la notion de technicité.
Article 5
Version du Conseil
1. Les États membres veillent à ce qu’une invention mise en oeuvre par
ordinateur puisse être revendiquée en tant que produit, c’est-à-dire
en tant qu’ordinateur programmé, réseau informatique programmé ou
autre appareil programmé ou en tant que procédé réalisé par un tel
ordinateur, réseau informatique ou autre appareil à travers
l’exécution d’un logiciel.2. Une revendication pour un programme d’ordinateur, seul ou sur
support, n’est autorisée que si ce programme, lorsqu’il
est chargé et exécuté dans un ordinateur, un réseau informatique
programmé ou un autre appareil programmable, met en oeuvre un
produit ou un procédé revendiqué dans la même demande de brevet,
conformément au paragraphe 1.
Analyse de la version du Conseil
L’Article 5.1 réitère la possibilité de breveter les logiciels, en
permettant le brevetage de procédés réalisés par un ordinateur.
Il ne s’agit pas ici d’un procédé physique contrôlé par
l’ordinateur, mais bien de ce que fait le programme d’ordinateur
proprement dit (en langue anglaise, cette confusion est renforcée
par l’utilisation du vocable « process » pour
désigner à la fois un procédé industriel brevetable mais aussi
l’exécution d’un processus informatique).
L’Article 5.2 constitue la troisième brèche. Ici encore, si l’on
se débarasse des doubles négations, il appert qu’on peut revendiquer
un programme sur tout support dès le moment où ce programme a été
revendiqué en tant que procédé, ce qui est justement permis par
l’Article 4bis. Cet article garantit la brevetabilité absolue des
logiciels, et nie de fait l’existence des prétendus logiciels
« en tant que tels » censés être non
brevetables.
Notons que cet article constitue une atteinte extrêmement grave à la
diffusion de la connaissance. Dès le moment où il existe un brevet sur
le commerce en ligne, par exemple, toute publication dans un livre ou
un périodique d’un programme permettant ce type
d’activité est attaquable en justice. Ceci concerne bien sûr le code
source, qui peut directement être exécuté sur un ordinateur au moyen
d’un interprêteur. Autre exemple parlant : toute personne
possédant chez elle un exemplaire d’un logiciel mettant en oeuvre une
« barre de progression » (EP 394160) [<a
name="t09" href="#r09">09] (barre servant à faire patienter
l’utilisateur) est attaquable par le détenteur du brevet.
Version du Parlement (Article 7)
Article 7
1. Les États membres veillent à ce qu’une invention mise en oeuvre par
ordinateur ne puisse être revendiquée qu’en tant que produit,
c’est-à-dire en tant qu’appareil programmé, ou en tant que procédé
technique de production.2. Les États membres veillent à ce que les revendications de brevet
reconnues sur des inventions mises en oeuvre par ordinateur couvrent
uniquement la contribution technique qui fonde une revendication. Une
revendication de brevet sur un programme d’ordinateur, que ce soit sur
le seul programme ou sur un programme enregistré sur un support de
données, est irrecevable.3. Les États membres veillent à ce que la production, la manipulation,
le traitement, la distribution et la publication de l’information, sous
quelque forme que ce soit, ne puisse jamais constituer une contrefaçon
de brevet, directe ou indirecte, même lorsqu’un dispositif technique est
utilisé dans ce but.4. Les États membres veillent à ce que l’utilisation d’un programme
d’ordinateur à des fins qui ne relèvent pas de l’objet du brevet ne
puisse constituer une contrefaçon de brevet, directe ou indirecte.5. Les États membres veillent à ce que, lorsqu’une revendication de
brevet mentionne des caractéristiques impliquant l’utilisation d’un
programme d’ordinateur, une mise en oeuvre de référence, opérationnelle
et bien documentée, de ce programme soit publiée en tant que partie de
la description, sans conditions de licence restrictives.
Analyse de la version du Parlement
Les Articles 7.1 et 7.2 de la version du Parlement stipule
explicitement qu’un programme ne peut faire l’objet d’une
revendication de brevet, celle-ci ne pouvant concerner que les
produits matériels ou les procédés industriels (et non les processus
informatiques).
L’Article 7.3 de la version du Parlement dispose que les méthodes de
traitement de l’information (qui sont en fait des descriptions
algorithmiques de méthodes mathématiques, analogues par nature à la
description de méthodes commerciales) ne puissent être brevetables.
L’Article 7.4 de la version du Parlement dit que jamais un brevet
sur une invention contrôlée par ordinateur ne permet de monopoliser
l’usage des algorithmes que le programme de contrôle met en oeuvre.
L’Article 7.5 de la version du Parlement rappelle l’obligation de
pérennisation et de diffusion du savoir inhérente au système des
brevets.
Article 6
Version du Conseil
Les droits conférés par un brevet délivré pour une invention relevant
du champ d’application de la présente directive n’affectent pas les
actes autorisés en vertu des articles 5 et 6 de la directive
91/250/CEE concernant la protection juridique des programmes
d’ordinateur par un droit d’auteur, et notamment de ses dispositions
relatives à la décompilation et à l’interopérabilité.
Analyse de la version du Conseil
Cet article est inopérant à garantir l’interopérabilité.
La possibilité de rétro-ingéniérie fonctionne dans le cas du
copyright, parce qu’un programmeur désirant interagir avec un
programme existant, par exemple en créant des fichiers d’un
format reconnu par ce programme, a le droit d’examiner
son fonctionnement et peut se servir de l’information
obtenue pour écrire ses propres routines de création de
fichiers, qui sont une oeuvre originale au sens du
copyright et ne constituent pas une copie servile du
programme initial.
En revanche, si un format de fichier est breveté, comme par exemple un
format de document de traitement de texte [
href="#r10">10], tout programmeur désireux d’écrire un programme
écrivant de tels fichiers, s’il a bien le droit d’analyser comment ces
fichiers sont crées, ne peut commercialiser librement son programme,
car celui-ci constituerait une contrefaçon du brevet, puisqu’il
contient des algorithmes permettant de créer des instances du format
breveté.
Cet article n’empêche donc aucunement la constitution de populations
d’utilisateurs captifs, obligés de continuer à utiliser les systèmes
informatiques du même fournisseur car celui-ci n’autoriserait pas
les programmes concurrents à importer légalement les formats de
données dont il détiendrait le monopole.
Version du Parlement (Articles 8 et 9)
Article 8
Les droits conférés par les brevets d’invention délivrés dans le cadre
de la présente directive ne portent pas atteinte aux actes permis en
vertu des articles 5 et 6 de la directive 91/250/CEE notamment en vertu
des dispositions particulières relatives à la décompilation et à
l’interopérabilité.Article 9
Les États membres veillent à ce que, lorsque le recours à une technique
brevetée est nécessaire à une fin significative, par exemple pour
assurer la conversion des conventions utilisées dans deux systèmes
informatiques ou des réseaux différents, de façon à permettre entre eux
la communication et l’échange de données, ce recours ne soit pas
considéré comme une contrefaçon de brevet.
Analyse de la version du Parlement
La version proposée par le Parlement, ainsi d’ailleurs qu’une version
proposée au Conseil par le Luxembourg, permettaient effectivement de
garantir l’interopérabilité, en définissant une exception limitée au
droit des brevets, comme l’autorise l’Article 30 des ADPIC [<a
name="t11" href="#r11">11, page 5].
Si la directive empêchait réellement la brevetabilité logicielle, ce
type d’article ne serait pas nécessaire vis-à-vis des brevets
européens, mais cependant toujours nécessaire pour assurer en Europe
la possibilité d’interopérabilité vis-à-vis des brevets étasuniens.
Article 7
Version du Conseil
La Commission surveille l’incidence des inventions mises en oeuvre par
ordinateur sur l’innovation et la concurrence en Europe et dans le
monde entier, ainsi que sur les entreprises européennes, en
particulier les petites et moyennes entreprises et la communauté des
logiciels libres, de même que le commerce électronique.
Analyse de la version du Conseil
Au vu du biais pro-brevets déjà exprimé par le Conseil, des délais
induits par la collecte d’informations nécessaires à un tel suivi,
et au temps de réaction supplémentaire nécessaire à tout ajustement, cet
article est inopérant. Mieux vaut prévenir que tenter de guérir des
années après le mal qu’on aura soi-même causé.
Article 8
Version du Conseil
La Commission présente au Parlement européen et au Conseil, pour le
[trois ans à compter de la date indiquée à l’article 9, paragraphe 1]
au plus tard, un rapport indiquant :a) l’incidence des brevets délivrés pour des inventions mises en
oeuvre par ordinateur sur les éléments mentionnés à l’article 7 ;b) si les règles régissant la durée de validité et la détermination
des critères de brevetabilité en ce qui concerne plus précisément la
nouveauté, l’activité inventive et la portée des revendications sont
adéquates, et s’il serait opportun et juridiquement possible, compte
tenu des obligations internationales de la Communauté, d’apporter des
modifications à ces règles ;c) si des difficultés sont apparues dans les États membres où les
aspects de la nouveauté et de l’activité inventive des inventions ne
sont pas examinés avant la délivrance d’un brevet et si des mesures
doivent être prises, le cas échéant, pour y remédier ;c bis) si des difficultés sont apparues dans la relation entre la
protection par brevet des inventions mises en oeuvre par ordinateur et
la protection des programmes d’ordinateur par le droit d’auteur,
prévue par la directive 91/250/CEE, et si des abus du système de
brevet se sont produits en rapport avec les inventions mises en oeuvre
par ordinateur ;c ter) la façon dont les exigences de la présente directive ont été
prises en compte dans la pratique de l’Office européen des brevets et
dans ses lignes directrices en matière d’examen ;c quater) à quels égards il pourrait être nécessaire de préparer
une conférence diplomatique afin de réviser la Convention sur le
brevet européen ;c quinquies) l’incidence des brevets conférés pour des inventions mises
en oeuvre par ordinateur sur le développement et la commercialisation
de programmes et de systèmes informatiques interopérables ;c) si des difficultés sont apparues dans les États membres où les
aspects de la nouveauté et de l’activité inventive des inventions ne
sont pas examinés avant la délivrance d’un brevet et si des mesures
doivent être prises, le cas échéant, pour y remédier ;[...]
Analyse de la version du Conseil
Tout ceci constitue une liste de voeux pieux, qui ne pourront de toute
façon pas corriger une situation qui aura tourné au désavantage de
l’Europe. Par exemple, si, à cause de failles béantes dans la
directive, les sociétés étasuniennes avaient la possibilité de
« faire leur marché » en Europe, et de racheter
ou couler les entreprises européennes concurrentes [
href="#r12">12] à fort potentiel innovant, il est difficile de
croire qu’un ré-examen de la directive pourrait restaurer ce qui aura
été perdu. Le cas de Gemplus illustre que la guerre économique pour le
contrôle des moyens d’accès à l’information existe bien, et qu’il
n’est pas utile de fournir à ses adversaires de moyens supplémentaires
de dominer.
Qui plus est, on trouve dans les alinéas quelques chevaux de Troie,
tels le b) et le c). L’Alinéa b) pourrait autoriser la Commission,
sur la base des pratiques des États-Unis et d’une interprétation
extrémiste des accords ADPIC, à lever toutes restrictions sur la
technicité, ouvrant ainsi la voie à une brevetabilité absolue. De
même, l’Alinéa c) pourrait autoriser la Commission à demander une
révision de la Convention Européenne du Brevet afin de supprimer
l’Article 52.2 stipulant que les logiciels ne sont pas brevetables,
vieux rêve des pro-brevets et qui semble toujours à leur agenda.
Synthèse
Version du Conseil contre version du Parlement
Contrairement à ce que ceux-ci ont toujours prétendu, le texte
soumis au Conseil [01] par les
représentants des offices de brevets siégeant au Coreper n’est
absolument pas un texte de compromis, comme a dû le reconnaitre devant
le Parlement Néerlandais la Secrétaire d’État van Gennip [<a
name="t13" href="#r13">13]. Mme van Gennip a, lors de ce débat
parlementaire, reconnu de même que la directive visait à légaliser la
pratique actuelle de l’OEB, qui délivre déjà des brevets purement
logiciels, et à autoriser le brevetage des algorithmes utilisés dans
le cadre de méthodes commerciales (comme le "shopping cart"
qu’elle donne elle-même en exemple).
Indépendemment du nombre d’amendements parlementaires repris ou non,
qui n’a aucune signification, il est important de voir en quoi
la version du Conseil diffère de celle du Parlement. Les amendements
parlementaires supprimés dans la version du Conseil concernent :
-
la définition positive de la technicité comme faisant
référence à un enseignement nouveau sur l’utilisation de
forces contrôlables de la nature, seule capable de limiter
la brevetabilité au monde physique et d’interdire
le brevetage des logiciels ainsi que des méthodes
commerciales, éducatives et de mathématiques
appliquées ; -
l’examen des seules contributions techniques (c’est-à-dire physiques,
au sens de la définition ci-dessus) des revendications des brevets
pour l’analyse de l’activité inventive ; -
l’interdiction de revendiquer des programmes sur leurs supports,
qui sinon constituerait un grave danger pour la transmission de
la connaissance ; -
une vraie garantie de l’interopérabilité, puisque les textes de la
Commission et du Conseil n’autorisent pas la diffusion de logiciels
interopérables implémentant des protocoles brevetés, et ne peuvent
donc empêcher la monopolisation des protocoles de communication et des
formats de fichiers.
Ainsi, sous sa forme votée par le Conseil, la directive permettrait
effectivement la brevetabilité totale des logiciels, et n’offrirait
aucune limitation. Pour s’en convaincre, il suffit de voir que la
"barre de progression" [
href="#r09">09] reste toujours brevetable. Voici comment procéder
pour cela :
-
faute d’une définition non tautologique de la technicité, et en considérant la
pratique actuelle de l’OEB, la barre de progression a bien un effet
« technique ». En effet, grâce à elle, un
utilisateur peut savoir à quel moment son programme aura fini de
calculer, et peut donc décider de faire autre chose dans l’intervalle
au lieu d’attendre, gagnant ainsi en productivité et diminuant son
stress de l’attente. Ceci est un effet différent des seules
interactions normales entre le programme et l’ordinateur, dans un
cadre industriel, et peut donc être considéré comme un effet
technique. Voir pour s’en convaincre quelques unes de édifiantes
citations collationnées dans [14] ; -
il est donc possible d’écrire une revendication de brevet faisant
intervenir l’exécution d’une barre de progression sur un
ordinateur. Il ne s’agit pas d’un programme « en tant que
tel », puisqu’on a démontré un effet technique ; -
on peut alors breveter un programme mettant en
oeuvre une barre de progression, puisque ce programme, une fois chargé
dans un ordinateur, exécute bien le procédé breveté.
Si les « programmes en tant que tels » semblent
exclus du champ de la brevetabilité, en fait, de tels
programmes n’existent simplement pas. Ce que dit justement la
directive, c’est qu’est brevetable un programme dès le moment où on
l’exécute pour produire un effet utile, ce qui est justement la raison
pour laquelle on écrit des programmes.
La tentative de vouloir établir une discrimination entre logiciels
« techniques » et logiciels
« non-techniques » ne peut donc qu’être vouée à
l’échec [04] et donc, si les
brevets logiciels étaient légalisés, tous les algorithmes, y compris
l’implémentation sur ordinateur de méthodes commerciales, seraient
brevetables. Il suffit pour s’en convaincre de constater le
fonctionnement actuel de l’OEB où, en dépit du critère de technicité,
de tels brevets ont effectivement été délivrés, comme celui sur un
système informatique de distribution de recettes de cuisine dans les
super-marchés destiné à faire augmenter les ventes des ingrédients (EP
756731) [15], ou sur l’évaluation
d’élèves (EP 664041) [16].
Définition de la technicité et contrôle parlementaire de l’OEB
La définition de la technicité constitue l’enjeu majeur du texte,
ainsi que le moyen pour le politique de contrôler l’Office Européen
des Brevets. C’est pour cela que l’OEB rejette avec la plus grande
violence toute définition explicite de la technicité, car
l’existence d’une définition explicite de la technicité dans un
texte législatif obligerait l’OEB à demander une modification de ce
texte, et donc solliciter un débat public sur le bien fondé de sa
démarche, à chaque fois qu’il souhaiterait élargir son périmètre
d’action.
Brevets logiciels et Droit Français
L’irruption des brevets logiciels pose aussi question vis-à-vis du
Droit Français. L’Article 4 de la LCEN (Loi n° 2004-575 pour la
confiance dans l’économie numérique) [
href="#r17">17] dispose : « On entend par
standard ouvert tout protocole de communication, d’interconnexion ou
d’échange et tout format de données interopérable et dont les
spécifications techniques sont publiques et sans restriction d’accès
ni de mise en oeuvre ». La possibilité de breveter les
moyens d’accès aux données des collectivités, à travers le brevetage
des formats de fichier et des protocoles de communication [<a
name="t18" href="#r18">18], est donc en contradiction avec les
objectifs de l’État de fournir un service basé sur les protocoles et
standards ouverts, voire à base de logiciels libres comme l’a annoncé
M. Dutreil, Ministre de la Fonction publique [
href="#r19">19].
Références
- [01]
- http://register.consilium.eu.int/pdf/fr/04/st09/st09713.fr04.pdf
- [02]
- http://www2.europarl.eu.int/omk/sipade2?PUBREF=-//EP//TEXT+TA+P5-TA-2003-0402+0+DOC+XML+V0//FR&LEVEL=3&NAV=X#BKMD-
- [03]
- http://www.abul.org/brevets/articles/parlement_20030924.php3
- [04]
- http://www.abul.org/article190.html
- [05]
- http://europa.eu.int/comm/internal_market/en/indprop/comp/com02-92fr.pdf
- [06]
- http://webshop.ffii.org/
- [07]
- http://l2.espacenet.com/espacenet/viewer?PN=EP0803105&CY=gb&LG=en&DB=EPD
- [08]
- http://www.iusmentis.com/patents/businessmethods/epc/
- [09]
- http://l2.espacenet.com/dips/viewer?PN=EP394160&CY=fr&LG=fr&DB=EPD
- [10]
- http://www.microsoft.com/mscorp/ip/format/xmlpatentlicense.asp
- [11]
- http://gibuskro.lautre.net/informatology/ffii/trips.html
- [12]
- http://swpat.ffii.org/brevets/effets/openmint/swxai-openmint.fr.pdf
- [13]
- http://kwiki.ffii.org/?NlparlDetal040603En
- [14]
- http://swpat.ffii.org/papers/eubsa-swpat0202/tech/
- [15]
- http://l2.espacenet.com/dips/viewer?PN=EP756731&CY=fr&LG=fr&DB=EPD
- [16]
- http://l2.espacenet.com/dips/viewer?PN=EP664041&CY=fr&LG=fr&DB=EPD
- [17]
- http://www.legifrance.gouv.fr/WAspad/RechercheSimpleLegi.jsp
- [18]
- http://swpat.ffii.org/patents/effects/cifs/index.en.html
- [19]
- http://www.reuters.fr/locales/c_newsArticle.jsp?type=topNews&localeKey=fr_FR&storyID=5456227
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