Association Bordelaise des Utilisateurs de Logiciels libres
Note de synthèse en une page sur les enjeux pour l’Europe de la brevetabilité du logiciel.
Jusqu’à présent, les logiciels sont protégés en Europe par le droit d’auteur, au même titre que les autres oeuvres de l’esprit. Cependant, sous la pression des États-Unis et de quelques multinationales de l’informatique et des communications, l’Office Européen des Brevets et la Direction Générale du Marché Intérieur de la Commission Européenne souhaitent étendre le régime des brevets aux logiciels. Le danger de cette évolution est que les brevets logiciels ne protègent pas les logiciels eux-mêmes, mais permettent de s’approprier les concepts sous-jacents, tels que les algorithmes (ce que le programme fait), les formats de fichiers (comment les données sont archivées), les protocoles de communication (comment les programmes interagissent).
Enjeux
Enjeux économiques
Alors que les tenants de la brevetabilité expliquent avec aplomb
que les brevets profitent aux PME, toutes les études économiques
indépendantes (aux États-Unis, en Grande-Bretagne, ...) démontrent
que les brevets logiciels favorisent les grands groupes qui, à
travers la constitution de portefeuilles de brevets, peuvent se
protéger de l’entrée sur le marché de PME innovantes, en les
attaquant sur l’utilisation de techniques logicielles triviales
dont ils détiennent les brevets.
L’industrie du logiciel possède nombre de spécificités qui la rendent
différente des industries traditionnelles, et qui font que le système
des brevets ne peut s’appliquer au logiciel :
- les innovations sont séquentielles, chacune d’elles s’appuyant sur
la précédente. Breveter l’une d’elles revient à s’approprier un pan
entier de l’industrie ; - le coût de production en série est marginal, rendant inutile
l’amortissement de lourds investissements matériels ; - le temps d’existence commerciale d’un logiciel est très faible
(18 mois en moyenne), sans commune mesure avec le temps nécessaire
pour déposer un brevet (4 ans à l’OEB), ou encore son temps de validité
(20 ans, inadmissible en informatique car cela représente 13
générations technologiques !) ; - le marché est volatil, permettant à l’auteur d’un logiciel innovant
d’être remboursé de ses investissements avant qu’un concurrent ne
puisse l’imiter et distribuer un logiciel concurrent. Les brevets
sont une perte de temps, d’énergie, et d’argent.
Les brevets logiciels sont un frein à la libre concurrence et
à l’innovation. L’industrie du logiciel a été innovante
sans brevets pendant des décennies, et l’introduction des
brevets logiciels ne pourrait donc se faire que ci ceux-ci
prouvaient leur utilité en favorisant globalement l’innovation
de façon manifeste, ce qui n’est justement pas le cas.
Les brevets logiciels permettent un vol massif de propriété
intellectuelle, car leurs détenteurs peuvent déposséder
toute entreprise du droit de commercialiser les logiciels
prétendument litigieux qu’elle a développé et dont
elle est pourtant propriétaire. Ces transferts abusifs de
propriété, majoritairement au profit de grands groupes
étasuniens, sont estimés à près de 100 milliards d’Euros
au niveau mondial.
Enjeux sociétaux
Alors que le discours ambiant est à la réduction de la
« fracture numérique », les tendances prises par
les cabinets techniques, tant au niveau français qu’européen, sont en
faveur de l’extension de cette fracture, par l’augmentation du coût
final pour le consommateur due à la position de monopole dans laquelle
se trouveront les grands opérateurs du secteur.
À travers la menace que les brevets logiciels font peser sur les
logiciels Open Source, ce sont toutes les initiatives politiques
françaises et européennes sur le sujet (cyber-administrations, Internet
citoyen) qui sont mises en danger.
Les brevets logiciels, en permettant l’appropriation de méthodes
intellectuelles, sont un contournement de la règle stipulant
que les méthodes mathématiques ne sont pas brevetables, et
constituent donc une atteinte majeure à l’universalité
de la connaissance.
Enjeux stratégiques
L’irruption des brevets logiciels en Europe permettrait aux
États-Unis, en muselant la concurrence, de régner en maître sur le
marché des systèmes d’exploitation et des applicatifs
bureautiques. Compte tenu des failles de sécurité sciemment
entretenues de ces logiciels, cela contribuerait à fragiliser toute
l’infrastructure informationnelle européenne vis-à-vis du
cyber-terrorisme et de l’espionnage.
Qui plus est, par le contrôle des contenants (formats de données,
protocoles de communication), les entités détentrices de ces monopoles
pourront acquérir un contrôle sur le contenu, influant ainsi sur la
perpétuation des autres cultures. C’est également un problème pour
la pérennité des services de l’État, si des données ne sont plus
accessibles du fait de l’abandon du logiciel qui les interprétait.
Actions à court terme
La seule solution, pour protéger l’Europe des procès en cascade qui
commencent à paralyser l’industrie informatique des États-Unis, est
de maintenir l’exception de brevetabilité des logiciels contenue
dans l’article 52.2c de la Convention de Munich.
Outre qu’elle protègera l’Europe, elle incitera des industriels
étasuniens à baser leurs projets de développement dans le havre
de paix judiciaire qu’elle constituera, inversant ainsi le sens de
l’hémorragie d’informaticiens qui pénalise actuellement l’industrie
européenne.
Il faut donc que l’ensemble des gouvernements européens fasse pression
pour que soit abandonné ou transformé le projet de Directive
Européenne légalisant les brevets logiciels actuellement défendu par
la Direction Générale du Marché Intérieur, et qu’au contraire la
non-brevetabilité des algorithmes et idées soit clairement réaffirmée.